La longue marche vers la connectivité

Publications Publié le 3 avril 2024

Les thématiques ESG sont omniprésentes. Les enjeux sont débattus tandis que les entreprises s’approprient progressivement le contenu et le calendrier de la CSRD. La lecture de quelques publications financières 2023, centrée sur le sujet du « climat », illustre l’intérêt du chemin restant à parcourir sur la mesure d’impacts sur les comptes et la transparence des informations.

« Tone at the top »

Sujet stratégique par nature, les sociétés cotées affichent quasi systématiquement un volet environnemental dans leurs rapports financiers. Certes en proportion des situations sectorielles, mais toujours avec beaucoup de concret. La sélection d’une dizaine de sociétés de taille intermédiaire[1], positionne les enjeux environnementaux à un niveau d’impact élevé et une probabilité moyenne ou élevée de réalisation, à l’exception de la plateforme de négoce de voitures Aramis qui retient des niveaux modérés. Il est notable de relever l’existence de « renoncements » dans la stratégie de certaines sociétés, aux côtés d’orientations positives, comme c’est le cas pour la Compagnie des Alpes.

Le premier constat est que la lecture des orientations stratégiques est largement éclairée par les exposés de facteurs de risques et de la DPEF. Dans notre sélection de sociétés, les mesures d’adaptation y sont notamment exposées de façon pédagogique. Par exemple, le groupe Bonduelle explique les limitations d’accès à l’eau et de l’appauvrissement des sols et présente à la fois des actions déjà mises en œuvre et l’adaptation de sa gouvernance par la création d’un comité spécialisé. La stratégie globale apparaît dans un prolongement qui n’est pas déconnecté du présent.

Deuxième constat : le chemin vers les objectifs stratégiques s’inscrit dans un calendrier difficile à appréhender pour cette sélection de sociétés de taille intermédiaire. Le groupe Pernod Ricard fait exception en différenciant de façon explicite des phases à court, moyen et long terme, à l’intérieur d’un plan d’affaires à 19 ans. Les objectifs « net zéro carbone » varient entre 2030 (Compagnie des Alpes), 2040 (Sodexo) et 2050 (Bonduelle). Les horizons peuvent aussi rester partiels ou indéfinis (Pierre & Vacances, Aramis).

Troisième constat : d’une part les indications d’impact quantitatif sont quasi inexistantes, et d’autre part, l’appréciation des calendriers est difficile. Les durées des plans d’affaires sont en moyenne de cinq ans. Aramis souligne à la fois que les contraintes réglementaires écologiques ont entraîné une croissance forte des ventes de voitures électriques ou hybrides, et que les impacts liés à la préservation des ressources naturelles ou à l’économie circulaire ne sont pas significatifs à l’heure actuelle pour le groupe. Ces dernières affirmations sont peu détaillées.

Une vision comptable avec un horizon de cohérence limitée

Si les descriptions des stratégies, des facteurs de risque, et des enjeux extra-financiers apparaissent très cohérentes, la situation est différente dans la présentation des comptes consolidés.

Les annexes des comptes consolidés intègrent une note dédiée au risque climatique. Mais est-ce à la hauteur des attentes exprimées par l’AMF dans ces dernières recommandations pour la clôture 2023, principalement pour la mise en œuvre des tests de dépréciation ?

C’est le cas quand les notes observées précisent bien que les engagements environnementaux ne remettent pas en cause les durées d’utilité des actifs.

La prise en compte des impacts environnementaux dans les plans d’affaires est aussi toujours rappelée dans les méthodologies des tests de dépréciation. Cependant, il convient de souligner les points suivants, dans les comptes des sociétés sélectionnées :

  • Comme les indications stratégiques sont purement qualitatives, il n’est pas possible d’identifier d’éventuels écarts ou de suivre, par renvois, le traitement d’un sujet particulier.
  • Dans certains cas, la stratégie environnementale est indiquée expressément n’avoir pas d’impact net significatif (Bonduelle, Aramis, Elior Group). Au contraire, Pernod Ricard signale prendre en compte des capex directement liés aux enjeux environnementaux – sans les chiffrer – et précise les impacts sur son financement.
  • Un groupe comme Pierre & Vacances rappelle que les risques environnementaux sont accompagnés d’opportunités, et que, à date, les incidences financières des événements climatiques extrêmes n’ont pas affecté les résultats financiers du groupe en raison des couvertures d’assurance. Dans ces conditions, les incidences futures ne peuvent pas être évaluées de manière fiable.
  • Les indications du référentiel de tendances climatiques sont rares.
  • Seule la Compagnie des Alpes indique avoir modélisé un plan d’affaires à partir d’un scénario central tenant compte notamment d’hypothèses climatiques.
  • Aucune prolongation des données prévisionnelles n’est signalée.

Par ailleurs, la détermination des taux d’actualisation, des valeurs terminales, y compris des taux de croissance à l’infini n’a pas été modifiée par des facteurs climatiques.

Enfin, à l’exception de Sodexo, les calculs de sensibilité sont présentés sans aucun lien avec les enjeux environnementaux.

La lecture de quelques publications financières montre une forte progression de la qualité et de la quantité des informations environnementales… aux portes des états financiers. Les tests de dépréciations restent en effet présentés aujourd’hui de façon générique. Ces observations confortent les études menées récemment sur les comptes 2022[2], tout en soulignant que les sociétés de taille intermédiaire apparaissent moins avancées dans la communication sur ces sujets.


[1] Sélection arbitraire dans le domaine des loisirs, de l’hôtellerie, de l’agroalimentaire, de la restauration collective et de l’automobile.

[2] « L’information financière [en 2022] des sociétés européennes sur les enjeux climatiques », Mazars janvier 2024 ; « The Heat is On: Disclosures of Climate-Related Matters in the Financial Statements », Esma Octobre 2023

L’un des aspects majeurs de la CSRD sera la définition et la mesure des impacts de double matérialité et, en écho, la connectivité de ces impacts avec les états financiers.

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