Enjeux extra-financiers : de la prise de conscience à la prise en comptes

Publications Publié le 26 septembre 2022

Les enjeux extra-financiers et leurs implications pour les entreprises sont au cœur des préoccupations des directions, des grands groupes mais aussi des entreprises de taille plus réduite, en France mais aussi à l’international. Les sujets ESG sont devenus au fil des ans majeurs pour la bonne conduite des organisations.

Au-delà des green & social-washing, l’extra-financier a rattrapé le financier et les deux matières sont désormais très interconnectées.

Retour sur les origines de la RSE en France

En France la prise en compte des enjeux du développement durable dans les entreprises ne date pas d’hier. En effet, dès 2001 et la loi relative aux nouvelles régulations économiques, la France a été pionnière en la matière en demandant à 700 entreprises françaises cotées de faire état des conséquences sociales et environnementales de leurs activités et de les inscrire dans leur rapport de gestion. Depuis, de nombreux textes sont venus encadrer le sujet en France comme au niveau européen (Grenelle de l’environnement, Loi Coppé-Zimmeran, Loi Sapin II, Non-Financial Reporting Directive …) sans pour autant que l’on n’ait pu constater jusqu’à très récemment d’effets significatifs sur la transition climatique ou énergétique. Les émissions de gaz à effet de serre restent en hausse, à l’exception de la période de pandémie de covid-19 et les conditions de travail ne sont toujours pas à la hauteur dans de nombreux pays du globe. Quant à la gouvernance des entreprises, même si des améliorations notables ont été observées ces dernières années le chemin est encore long pour nombre d’entre elles.

 

Le Green Deal européen : de l’ambition à l’exécution

Forte du constat ci-dessus et de la volonté de devenir un acteur de référence dans la lutte contre le réchauffement climatique, l’Union Européenne a adopté en 2019 un Pacte vert. Ce Green deal européen vise à atteindre de 3 objectifs : (1) réorienter les flux de capitaux vers des investissements durables, (2) intégrer la durabilité dans la gestion des risques et (3) favoriser la transparence et une vision de long terme. Pour atteindre ces 3 objectifs, un plan de 10 actions a été mis en place au sein desquelles 4 ont des impacts directs pour les entreprises :

  • établir une taxonomie des activités durables,
  • améliorer la transparence du reporting en matière de durabilité au travers de la Corporate Sustainability Reporting Disclosure (CSRD),
  • clarifier les devoirs des investisseurs et des gestionnaires d’actifs en matière de durabilité avec la Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR), et
  • créer des standards et labels sur les produits financiers verts par le biais des Green Bonds.

 

Enjeux extra-financiers : de la prise de conscience à la prise en comptes

Afin de mettre en évidence le lien de plus en plus prégnant entre le monde financier et son voisin extra-financier, il sera dans un premier temps question du poids de plus en plus important des obligations de communication avant que ne soit abordé l’émergence de nouveaux risques. Par la suite il s’agira de mettre en exergue le sujet de la raréfaction et du renchérissement des conditions de financement avant de conclure avec les premiers impacts des enjeux de durabilité sur les valorisations d’entreprises.

  • Convergence des exigences de reporting de durabilité : vers des CSRD et SFDR alignée

Si la CSRD touche principalement les entreprises non-financières en les poussant à communiquer un nombre important d’indicateurs de durabilité normés, leurs homologues des services financiers ne sont pas en reste et sont impactées de leur côté par la SFDR. Au titre de cette réglementation européenne, elles doivent présenter une information agrégée quant au niveau de durabilité de leurs participations et des financements qu’elles octroient. Dans ce contexte, la taxonomie verte européenne sert de dénominateur commun pour rapprocher ces deux mondes mais nécessite pour les organisations la mise en place de systèmes d’information permettant d’identifier, tracer et consolider des données extra-financières. Ces outils de reporting sont coûteux d’un point de vue monétaire mais aussi en termes de ressources puisque leur déploiement et leur suivi requièrent un temps certains de la part des équipes (finance, IT, RH, RSE mais aussi opérationnelles).

  • L’émergence de nouveaux risques

Au-delà de la taxonomie verte, les nouveaux cadres que sont la CSRD et la SFDR se retrouvent également autour d’autres thématiques comme celle de la double matérialité. Ce concept pousse les entités à identifier les impacts de leur écosystème sur leurs activités, contrairement à la vision historique inverse (c’est-à-dire de l’impact de leurs activités sur leur environnement). En répondant à cette nouvelle approche, de nombreux facteurs de risque ont récemment vu et vont continuer de voir le jour au sein des entreprises. Ces nouveaux risques nécessiteront alors de faire évoluer les processus, d’identifier de nouveaux contrôles et de mettre en place de nouveaux indicateurs clefs de performance. Les pratiques organisationnelles actuelles vont donc devoir évoluer et ce changement ne se fera pas sans un certain investissement.

  • Raréfaction et renchérissement des conditions de financement

En juillet 2022, le groupe SPIE signe un accord pour le refinancement de son prêt syndiqué de 1,2 milliard d’euros indexé sur des critères de développement durable. Trois mois plus tard c’est au tour d’EDF de lever une dette verte de 1,25 milliard d’euros. Un an plus tôt c’est l’énergéticien ENEL qui avait émis une nouvelle obligation de 1,5 milliard d’euros auprès du Crédit Agricole. Si ces annonces montrent bien à quel point les financements verts ou adossés à des critères de durabilité ont le vent en poupe c’est tout autant le résultat de la volonté des entreprises que de la pression exercée par les établissements de crédit ou les marchés. En effet, pour atteindre les objectifs de ratio verts qu’elles se sont imposées, ou que les investisseurs ou la SFDR leur ont imposés, les banques poussent leurs clients à s’orienter vers ces nouveaux outils de financement pour lesquels les critères extra-financiers comptent au moins autant que les critères financiers historiques. Ainsi, les entreprises qui ne pourront pas mettre en avant de stratégie de durabilité risquent de voir leurs conditions de financement se durcir dans un premier temps avant d’être tout simplement compromises par la suite.

  • Premiers impacts des enjeux de durabilité sur les valorisations

Dans le cadre de la mise en œuvre de tests de dépréciation ou bien pour évaluer certaines activités les entreprises utilisent bien souvent la méthode des flux de trésorerie actualisés, méthode pour laquelle le taux d’actualisation, le taux de croissance de l’activité à l’infini et le taux de marge ou de profit opérationnel du flux normatif sont des hypothèses clefs. Les enjeux de durabilité ont tendance à impacter ces éléments de valorisation vers la baisse. En effet, la raréfaction ou le renchérissement des conditions de financement ont pour effet d’accroitre les taux d’actualisation. Dans le même temps, les taux de croissance à l’infini sont de plus en plus revus à la baisse, voire même limité à la croissance monétaire. Enfin, l’évolution des pratiques pour tenir compte des enjeux de durabilité comme la mise en place d’approvisionnement plus locaux, la juste rémunération des différents acteurs de la chaine de valeur ou encore la mise en place d’une taxe carbone aux frontières, conduiront à la baisse des marges normatives. Tous ces paramètres s’alignent pour mener à des réductions de valeur.

La prise de conscience récente des enjeux extra-financiers et l’intérêt accru pour la transition énergétique ou climatique poussent de plus en plus d’entreprises à modifier leurs pratiques. Si cela peut se traduire, a priori, par des impacts négatifs ce processus peut également être porteur d’opportunités.

En effet, la revue de processus historiques peut permettre de rebattre les cartes et de libérer ainsi de nouvelles marges. Il s’agit également pour les entreprises engagées dans cette transition de répondre, au-delà des besoins réglementaires, aux attentes des nouvelles générations et des investisseurs.

Celles qui sauront mettre leurs actes en conformité avec leur parole verront les bénéfices de leurs engagements dans leur attractivité, qu’elle soit commerciale ou liée aux enjeux de recrutement.

Les auteurs

Nous contacter